un parfum d'aventure, dans les eaux de l'antarctique

Je pars en Antarctique pour un peu plus d'un an, plus exactement en Terre Adélie, à Dumont d'Urville avec l'IPEV (Institut Paul Emile-Victor). Dumont d'Urville est une base de recherche polaire française, située en dessous de la Tasmanie. Mon rôle sera d'étudier les poissons et les organismes qui vivent sur le fond, en dessous de la banquise.

dimanche 24 juillet 2011

Les records,

En ce jour du 22 juillet, les paris sont ouverts. Le temps est étrange. Le temps est dérèglé. Il vacille, bouge, tourne, change. Nous passons de vent nul à des vents dépassant les 100 km/h. Le catabatique est en place. Avec lui, de l’air chaud arrive. Les températures remontent brusquement et redescendent aussi sec. Nous avons atteint deux records dans la même journée : 180 km/h de vent et 0.5°C de température.


Un filet sous la glace,


Deux trous dans la glace. Deux trous effectués à l’aide d’une tronçonneuse, de barres à mine et de lancés de jambes, le plus dur étant de faire passer les blocs de glace sous la banquise afin de libérer l’accès au trou.



La banquise est de plus en plus épaisse, elle atteint le mètre maintenant. Une tronçonneuse de 90 cm n’y suffit plus, il va falloir passer à celle d' 1,5 mètre, de quoi rendre jaloux les bûcherons. Je ne peux pas le faire moi-même, elle est bien trop lourde. La force demandée est au-dessus de mes moyens. Il faut déléguer. Justin, le mécano, vient comme toujours à la rescousse pour faire trempette et avoir le plaisir de briser la glace. Un bruit résonne sur toute la banquise. Il s’entend à plus d’un kilomètre, les jours de grand beau temps. Des gerbes d’eau sont projetées. Nous le regardons!

Les trous sont carrés, rectangulaires, octogonaux, .. tous les moyens sont bons pour réussir à avoir l’accès à la seule eau liquide à la ronde. Cet accès me permet de travailler. Sans eau, pas d’animaux marins et ma présence n’aurait aucune raison d’être. Le premier trou est mon trou de pêche, celui que j’entretiens avec tant d’amour et de ... passion ? Le deuxième est temporaire, il n’existe que lorsque je le décide. Petit à petit, je trace un cercle autour du trou de pêche permanent. Jusqu’au moment où je pourrais demander à tous les hivernants de venir et de sauter encore et encore afin de casser les derniers morceaux restants comme sur une feuille pré-découpée. Et nous prendrons les rames et partirons jusqu’à Port-Martin, le Mertz, Casey station. Nous n’aurons plus qu’à planter une tente, prendre des vivres avec nous. Nous avons notre moyen de transport infaillible dans un pays froid. Il ne risque que peu de se briser,... juste de fondre à force de frottements. Espérons que nous arriverons jusqu’au Mont Erebus.

Mais qu’y a-t-il sous la banquise ? Que risquons-nous de rencontrer ? du zooplancton ? Rien de bien méchant dans ce cas, ce n’est pas ces petits crustacés, des copépodes, qui nous ferons peur. Mais ce n’est pas non plus avec cela que nous allons pouvoir survivre à notre périple. J’ai posé un trémail entre mes deux trous dans la glace. Un trémail est un filet trois en un, une grosse maille pour les gros poissons, une petite maille pour les petits poissons, et re une grosse maille.



Pour une pêche efficace ! Je l’ai laissé 24heures, 48heures, espérant pouvoir apporter du poisson frais à mes compagnons de voyage. Du poisson, il n’en fut rien... seules deux petites méduses se sont retrouvées prisonnières dans mes filets. Avec une composition à plus de 99 pour cent d’eau, nous n’allons pas réussir à survivre. Peut-être devrions nous attendre quelques semaines, que les poissons arrivent ...



lundi 18 juillet 2011

Des petits nouveaux,



Leur nombre s’agrandit. Un renouvellement est à l’aube.
De jour en jour, on en dénombre de plus en plus. Les poussins empereur sont parmi nous.

Depuis plus de dix jours maintenant, les poussins percent leur coquille à l’aide de leur bec. Ils tapent contre leur coquille et cherchent à aller vers un monde plutôt froid. Je n’aurais pas tellement envie de sortir de l’oeuf à leur place.
Il fait -20°C dehors, le ciel est couvert, parfois il vente. Mais seuls les -20°C devraient leur faire peur. Leur duvet tout mouillé doit geler. Et pourtant, tous les ans avec le même besoin, ils sortent de l’oeuf et vont affronter les dangers de la banquise. Le parent le protège autant que possible du froid. Bien au chaud à l’intérieur de la poche d’incubation, le petit ne craint rien. Il sort de temps en temps la tête, pousse des cris, réclame à manger, ... mais il a vite fait d’être remis au chaud par ses parents.

Il est drôle de voir les parents contracter leurs muscles ventraux et laisser apparaître le petit, lui gratter la tête, le nourrir. On s’imagine qu’ils vérifient que tout va bien, qu’il est toujours vivant. Mais nous imaginons. Nous ne savons pas ce que pense les empereurs, comme n’importe quel animal d’ailleurs.

Les femelles sont de retour, juste à temps pour que les mâles puissent repartir en mer, manger de tout leur soûl. Voilà plus de cent jours qu’ils jeûnent. La manchotière est, de ce fait, redevenue une immense place de marché.
Des cris viennent de partout. Une femelle s’arrête, baisse la tête, chante. Des dizaines de mâles lui répondent. Elles cherchent leur mâle et leur petit. Parfois, le mâle a perdu l’oeuf alors il est reparti en mer. Celles-ci alors complètement éperdues se mettent à voler les poussins des autres empereurs. Elle a besoin d’avoir un poussin à nourrir, à élever. Elles effectuent des rapts.

Et puis cacher par la voix des parents, des cris aigus retentissent par-ci, par-là: les poussins. En fermant les yeux et en occultant les chants des parents, on pourrait se croire en France, au printemps, avec le chant des moineaux... une petite tête noire et blanche piaille....


jeudi 14 juillet 2011

Un aller pour un retour,



Je m’en vais et je reviens. Je fais des aller-retour dans ce monde. Il est immense mais je ne peux aller loin. J’aimerais pouvoir parcourir des kilomètres encore et encore. Parcourir des kilomètres vers l’Est et le mont Erebus, vers l’Ouest et la Péninsule Antarctique. J’aimerais pouvoir découvrir les changements, observer les différentes facettes de ce monde. Il est tellement particulier. Et plus que tout, j’aimerais faire le tour de l’Antarctique sous l’eau, faire le tour de tous les continents sous l’eau, le tour de tous les fonds marins sous l’eau. J’aimerais les découvrir et essayer de les comprendre. Comprendre leur fonctionnement.




Bébé ROV fait une partie du travail pour moi, à son échelle. Il est tellement petit, que j’aurai du mal à lui faire parcourir des milliers de kilomètres. Mais pour l’instant la glace épaisse (un mètre en ce moment) limite les arrivées de lumière. Il fait plutôt sombre au fond. Je ne vois qu’en noir et blanc et pas plus loin que mes petites loupiotes n’éclairent. Un poisson passe devant moi. Des éponges. Des algues. Une nasse. Un piège à larve. Je visite les engins que j’ai déposé. Je vérifie si tout fonctionne correctement et s' il y a lieu de les améliorer.

BébéROV monte et descend. Nous le surveillons de notre hauteur. Les lumières sont visibles jusqu’à une vingtaine de mètres de profondeur. Après cela, il disparaît dans les profondeurs. Nous lui faisons faire des aller-retour entre deux trous. Il est notre véhicule tracteur sous-marin. Il passe des bouts d’un trou à l’autre. Cahin caha et plutôt facilement, nous arrivons à notre but : faire passer un grand racleur à glace. Cet engin flotte et racle sous la glace pour récupérer tous les animaux qui vivent sous la glace. Malheureusement, en ce moment il n’y a pas grand monde qui circule en-dessous...

Il est marrant notre petit robot jaune ...

Par delà la base,



Autour de nous, un grand désert de glace blanche. Parfois parsemé de paillettes de neige, de cristaux de glace, de rivières, de tâches de neige, des bergs,... Uniforme et changeant tout à la fois. Ce paysage, nous l’avons quand nous regardons vers le Nord. Mais à l’Est, à l’Ouest, et au Sud... cette «monotonie» est bouleversée. Le continent et ses courbes nous cachent l’horizon. Il remplit toute la ligne, infini. Nous n’en voyons jamais le bout. À l’Est, le glacier arrête notre regard ; notre horizon est encore plus proche, monstre de glace où crevasses, grottes, failles jouent à cache cache avec la neige. Qu’y a-t-il derrière ? Que nous cache donc le glacier ? Qu’y a-t-il derrière le continent ? Que vais-je découvrir par delà l’horizon ?



Un nouveau monde en soi.... sujet à de multiples rêveries, à des découvertes toujours nouvelles. Un monde interdit. Un monde où nous ne pouvons accéder... Alors nous le regardons de loin, le prenons en photo avec un gros zoom et essayons d’observer plus loin dans les crevasses...



Une couleur bleue, une couleur blanche, une couleur rose... le glacier et les bergs changent de couleur au grè des jours. Il suffit d’un voile nuageux pour donner à ceux-ci une couleur bleue intense. Elle est profonde, elle est la couleur de la glace dense.



C’est aussi un lieu à changements, un lieu où rien ne dure. Un morceau de glace tombe et tout le paysage en est chamboulé. Des rivières se forment dans la banquise, des éboulements se créent,... Il est difficile de connaître le glacier, il est imprévisible, indomptable mais on aimerait tous pouvoir un jour y poser le pied, grimper, descendre dans les crevasses, découvrir le trésor,...celui caché au coeur de la glace. L’histoire de notre planète, l’histoire de la Terre et de ses occupants.

lundi 11 juillet 2011

De la glace dans l’air,

2 Juillet, il est 15h30. Il fait déjà presque nuit. Nous revenons d’une promenade autour de Bernard, Lamarck, Trou de pêche. Un petit tour, le temps de profiter de la luminosité ambiante et de faire le plein de vitamine D. Alors le midi on mange les oranges qui restent et hop dehors, on s’allonge sur la glace histoire de bronzer un peu, prendre des couleurs,...etc. Il faut qu’on soit beau pour notre retour à la vie trépidante du monde.

Ce serait dans nos rêves les plus fous. Le bronzage en extérieur, on oublie et en intérieur aussi d’ailleurs, car nous n’avons pas de lampe UV à disposition malheureusement. Nous restons blanc comme des linges. Je voie la peau de mes bras pâlir à en faire mourir un mort.

Enfin je raconte tout ceci, car la température ne nous permet même pas de nous déshabiller dehors, hormis les fesses quelques secondes, le temps d’aller au petit coin lors d’une ballade un petit peu longue. Et puis, il ne faut pas oublier que cette journée-là, la température nous a joué quelques tours. Il ne faisait déjà pas bien chaud, même plutôt frais. Mais celle-ci a décidé de descendre encore et encore... tant et si bien, que nous avons battu notre record de température.... -30,1°C, la température la plus froide depuis le début de l’hivernage. Les joues ont froid. Les yeux pleurent. Les cils gèlent ainsi que les cheveux. Je deviens une grand-mère avant l’heure. J’ai de la peine à ouvrir les yeux, je vois à travers un rideau de glace. Ma bouche a du mal à s’ouvrir alors je la garde ouverte (ma cagoule est complètement congelée et garde une forme.. idéale pour garder la bouche ouverte), de toute manière il fait trop froid pour respirer par le nez.

Mais finalement tout ceci est déjà là même par -25°C.... la différence n’est pas si notable. Nous avons remarqué deux paliers de température, entre -5° et -15°, il fait froid mais pas trop, il fait en fait presque chaud, et en-dessous de -20°, il fait froid et la vie n’est pas facile tous les jours quand le catabatique se lève...

Pour tout vous dire, je préfère un 30 degrés dans les négatifs, qu’un 30 degrés dans les positifs.... la canicule polaire, j’adore ça!

mardi 5 juillet 2011

Une méthode de pêche particulière

Nous sommes en Antarctique et il faut déployer les grands moyens pour trouver l’objet de nos convoitises. Celui-ci se cache bien souvent dans les profondeurs, dans le noir de l’eau, parfois dans les recoins de la banquise, parfois tu l’aperçois s’échappant. Il est difficile de l’attraper.

L’objet de mes convoitises n’est qu’un poisson. Une espèce de poisson. Celle-ci dépend de mes humeurs, des jours, des besoins. Certaines, je les pêche tellement souvent que j’en ai marre de les voir dans mes casiers ou au bout de ma ligne. Si le poisson n’est pas congelé, je le rejette parfois à la mer. Certaines espèces sont plus dures que les autres à attraper. Il faut parfois attendre de longues heures avant que l’un d’eux ne décide à venir mordre à l’hameçon.

Il y a quelque temps, ma ligne trempait dans l’eau à quelque mètres de profondeur à travers une rivière dans la banquise. Une rivière est une ouverture dans la banquise, une faille. À certains endroits, la glace bouge tellement que l’eau n’a pas le temps de se recongeler ce qui me laisse la place libre. Donc ma ligne dans l’eau n’attrapait aucun poisson. Ce qui est bien triste. J’ai regardé dans l’eau, essayant de sonder les profondeurs. Un noir presque absolu. Le fond est trop loin pour que je puisse l’apercevoir. Le poisson convoité n’est pas dans le coin. Mais des tâches blanches bougent dans l’eau. Des tâches qui ressemblent à de tous petits poissons. Quelle espèce ? Je ne sais pas, probablement des Pagothenia borchgrevinki. Je vous laisse le soin d’aller voir la tête que ce poisson peut avoir. En tout cas, ces petits poissons sont bien trop petits pour pouvoir mordre à l’hameçon. Aucun moyen pour moi de les attraper. Je repartis donc, me disant que je ramènerai une épuisette la prochaine fois.


camille, guillaume et clement

J’ai ramené une épuisette avec moi. Je suis retournée au même endroit. Rien à faire, pas un seul petit poisson en vue. Je suis allée voir partout aux alentours. Rien. J’ai plongé ma tête dans l’eau.


J’ai cherché partout en dessous de la banquise. Rien. J’ai continué. J’en ai aperçu deux dérivant dans le courant. Tellement vite, qu’à peine aperçu, ils avaient déjà disparu. Puis un phoque est apparu. Il a presque croqué ma tête. Mais le pire dans tout cela, est qu’il a certainement fait fuir tous les poissons des alentours. Après avoir dépensé autant d’énergie dans ma recherche, je suis dépitée. Ma combinaison est trempée ou congelée. Difficile de dire. Tout cela pour même pas un petit poisson.

Tant pis, je reviendrai. Et je vous trouverai.



Photos de Sophie

Vous avez dit de la neige !

Nous voici enfin dans le grand hiver d’Antarctique. Le 21 juin est passé depuis deux semaines maintenant. Deux mois dans l’hiver d’Antarctique.

Que cela change-t-il, me diriez vous ?

Cela ne change pas grand chose à notre quotidien. Nous ne voyons pas encore les jours rallonger. Notre temps d’ensoleillement est toujours plutôt réduit. Il ne fait pas plus froid qu’avant. Il n’y a pas plus de vent. Il n’y a pas plus de neige.

Mais pourquoi aller en Antarctique, si tout a l’air si « y a pas» ?

L’Antarctique est un monde à part. L’Antarctique est un monde où le temps n’existe pas, et en même temps où le monde évolue très rapidement. Nous pouvons passer d’une île à un grand désert blanc en quelques jours. Dans le sens inverse... en quelques heures. Tu ne verras pas ton paysage changer aussi brusquement, les feuilles d’automne ne tombent pas si vite.

Le soleil est un miracle en soit. La lune, une espérance. L’un nous apporte le jour. L’autre la lumière dans la nuit noire.

Il est difficile de décrire de tels paysages. Les photos ne peuvent pas rendre le mouvement perpétuel qu’y se passe sous nos yeux. Tout change, le vent transporte la neige. Le soleil éclaire le glacier d’une couleur orange. Les nuages donnent une couleur bleue au continent. Et le vent balaye tout sur son chemin.

Nous avons vu une île, un rocher, un caillou, la colline au milieu d’un désert. Nous attendons les monticules de neige. Nous attendons que les perturbations du Nord viennent nous apporter de grandes quantités de neige: plein de neige, de la neige recouvrant toutes les îles, de la neige cachant tout, insonorisant tout . Nos météorologues nous font miroiter de la neige. Ils nous ont fait miroiter. Ils prennent maintenant des pincettes... car même une tempête de neige ne nous apporte finalement que très peu de neige.

La semaine dernière, le vent a soufflé et la neige a battu nos joues. Nous l’avons accueillie à bras ouverts. Mais la neige est partie aussi vite qu’elle est arrivée. Elle n’a fait que nous survoler. Le lendemain matin, après deux jours de neige, nous n’avions plus rien. Seules les zones protégées du vent se sont renflouer. Pas de quoi faire un bonhomme de neige. Pas de quoi faire un iceberg.

Mais la neige s’est accumulée au trou de pêche, derrière, devant. Elle s’est retrouvée piégée par mon monticule de glace que je m’efforce de construire depuis deux mois. La neige a été la bienvenue. La neige réchauffe. La neige isole. Alors depuis que je peux en mettre tout autour du trou de pêche, le trou de pêche ne s’englace que très peu.


Au bout de deux jours, il n’y a qu’un peu de frasil en surface. Un rêve !