un parfum d'aventure, dans les eaux de l'antarctique

Je pars en Antarctique pour un peu plus d'un an, plus exactement en Terre Adélie, à Dumont d'Urville avec l'IPEV (Institut Paul Emile-Victor). Dumont d'Urville est une base de recherche polaire française, située en dessous de la Tasmanie. Mon rôle sera d'étudier les poissons et les organismes qui vivent sur le fond, en dessous de la banquise.

dimanche 30 janvier 2011

Le manchot de la passerelle,

La base Dumont d’Urville est une ville, un village suspendu. Tous les bâtiments sont posés sur des pilotis. Les courants d’air passent par dessous. Le vent d’engouffre sous les bâtiments, traverse l’île de part en part. La neige tombe, elle recouvre les rochers. Tout est recouvert d’un manteau blanc. Nous sommes en été et la neige tombe à gros flocons. Elle tombe, se pose et fond. Des mares se forment. Les bâtiments ont les pieds dans l’eau. Nous ne flottons pas. Nous ne dérivons pas. Mais les pieds sont dans l’eau.

Alors pour passer d’un bâtiment à un autre, nous avons les pieds dans l’eau. Nous avons les pieds dans l’eau l’été, dans la neige l’hiver. Les bâtiments sont reliés par des passerelles. Des grilles juxtaposées qui relient tous les bâtiments. Nous vivons dans un village suspendu. Nous ne posons pas le pied sur le sol, sauf pour sortir des sentiers battus.


Les manchots passent, grimpent sous nos pieds. Nous marchons au-dessus d’eux. Ils ont leur nid sous les passerelles. Nous leur faisons peur. Nous marchons à pas de loup. Ils nous regardent étrangement, nous les géants de l’île. Mais parfois, plutôt que de sauter de rocher en rocher, ils empruntent nos passerelles. Le trafic devient intense. Les passerelles ne sont pas assez larges pour permettre l'apparition de double voies. Quand quelqu’un arrive à sens inverse, il faut se garer et attendre. Le manchot de ses deux petites pattes avance tant bien que mal sur les passerelles. Nous ne pouvons lui demander de se mettre sur le côté, pour passer nous, les géants à grands pieds. Alors nous avançons derrière lui doucement, essayant de l’emmener jusqu’à une zone où il puisse descendre en toute sécurité. Parfois, il grogne, parfois il avance et saute sur les rochers, parfois ils font demi-tour. Ce sont les manchots des passerelles.



La passation

Quand nous arrivons sur l’île, des habitants sont déjà présents. Des personnes ont déjà vécu là un an dans le même environnement que celui où tu vas passer la prochaine année. Ils ont vécu des moments de joie, des moments difficiles comme toute personne en métropole. Ils ont vécu une année de leur vie sur la base. Quand tu arrives, tu remplaces quelqu’un. Tu vas remplacer quelqu’un qui a effectué le même travail que celui que tu vas effectuer. Ce n’est pas facile de laisser toute une année d’efforts à quelqu’un que tu ne connais ni d’Eve ni d’Adam. Alors tu expliques, tu montres des choses qui sont, pour toi, normales, naturelles, des choses que toi tu as intégré depuis longtemps. Et toi, moi, nous écoutons avec attention tous les conseils que nous pouvons recevoir. Les difficultés, les petites astuces. Tu découvres grâce à cette passation un peu la vie sur la base, de son rythme.

Quand je suis arrivée, j’ai appris à dépendre des gens. J’ai appris à déléguer mon travail. Tout ce que je faisais par moi-même en métropole, je l’ai délégué. Ici, chacun a son domaine. Je suis scientifique océanographe. Il est menuisier. Il est mécanicien de précision. Il est plombier. Il est électricien,..etc. Je dois percer des trous pour mettre des étagères, j’appelle le menuisier. Les aquariums fuient, j’appelle le plombier. Tu apprends à demander, à connaître les spécialités de chacun. Mais il est difficile de toujours dépendre des gens. Parfois tu as l’impression de perdre ton temps. Parfois tu aimerais pouvoir faire les choses par toi-même. J’ai eu parfois le sentiment de perdre toutes habilités manuelles. J’ai eu parfois le sentiment d’être inutile, de ne savoir rien faire. Mais j’ai appris. J’ai appris à aller voir les gens, à expliquer, à me renseigner, à déléguer.

Des journées, courant après Jean-Marc, le chef technique, pour demander des améliorations pour le SeaLab (le containeur de tri, celui où nous passons nous journées entières), pour des aquariums. Lui courant après, avec ma liste de course à la main, le tout noté sur un bout de papier. J’ai couru. J’ai rencontré les hivernants, les campagnards d’été et j’ai appris à la connaître.

En Antarctique, il faut apprendre à dépendre des gens. Il faut apprendre à vivre en communauté. La terre est hostile à notre présence et nous devons faire attention aux uns et aux autres. Nous sommes tous là pour venir en aide. Nous avons chacun nos spécialités.

Rotation 2, le départ


En début de semaine dernière, l’Astrolabe était à quai. Il est revenu de la campagne océanographique, où les scientifiques sont allés échantillonner à l’Est de la Terre Adélie, du côté du Glacier du Mertz. Des géologues, des biologistes, des physiciens étaient à bord.

Ils sont revenus après dix,douze jours de mer. Maintenant ils sont bloqués attendant le départ. La météo n’est pas bonne. Il y a du vent, de la neige. Et nous attendons. Nous attendons que deux avions provenant de Concordia descendent à DDU. Ces avions doivent arriver avec onze personnes à bord. Le suspens. Si les onze personnes n’arrivent pas, que va-t-il se passer ? Le temps est mauvais à DDU, il est mauvais à Concordia. Le temps ne s’améliore pas et le temps passe. Le bateau devait partir dimanche dernier, nous sommes mardi. Nous apprenons que les avions n’arriveront pas. Les prochaines rotations sont pleines. Nous devons faire partir des personnes de R3 sur R2. Alors étant cinq, nous avons du faire partir l’une d’entre nous. Anne-Claire, de l’équipe REVOLTA, est repartie pour la métropole.


Elle est en ce moment en mer, se faisant secouer dans les mers du grand Sud. Bon Voyage Anne-Claire !





vendredi 21 janvier 2011

La chute du glaçon

Un glaçon, un tout petit glaçon. Quelle taille fait donc un glaçon ? Un centimètre, un mètre, cent mètres. Un glaçon, celui que l’on met dans notre verre, un jour de canicule en essayant de rafraîchir le doux liquide. Un glaçon que l’on voit circuler à la dérive devant notre fenêtre, en suivant le cours d’eau. Un glaçon énorme, qui flotte dans l’océan.


Ce glaçon énorme, majestueux, impressionnant et mystérieux, est un iceberg.
Il est partout.Je le vois à gauche de ma fenêtre; avec le regard parcourant l’horizon, je le vois encore. Il remplit notre panorama adélien.
Certains sont gigantesques, d’autres sont plus petits. Ils prennent des couleurs bleutées avec la lumière du soir, certains sont au goût chocolat. Et ils flottent, dérivent tranquillement à la force des courants marins, du vent.
Ils subissent les changements de température, de soleil. Ils nous éblouissent. On a peine à les regarder en plein jour quand le soleil est bien haut dans le ciel.


Un soir, ils ont perdu leur calme. On les a entendus. On a entendu la voix du glaçon, le son bien grave, provenant des profondeurs.
Un soir, il a cassé.., ils ont cassé. Un bout du glacier a été rendu à la mer. Un bout d’un iceberg a été rendu à la mer. Dans un immense fracas, le glaçon est devenu paillette. Il est tombé, il a projeté des myriades de gouttelettes.
Le son a retenti: l’appel de l’océan. Dans un grand glissement, les miettes sont tombées dans l’eau, se sont envolées et ont chassé l’océan. À nos pieds, un raz de marée est arrivé. La banquise s’est soulevée d’une trentaine de centimètres, nous avons vu l’eau monter. Nous étions en train de travailler. Nous n’avons pas regretté d’avoir été là.

mercredi 19 janvier 2011

Le cycle de la vie adélienne

La vie adélienne est, à elle seule, un sujet d’intérêt. Elle est rythmée selon un ordre dont l’origine est inconnue. Elle ne dépend pas du cycle du soleil, ni du cycle de la lune. Le jour étant présent 24h/24h pendant la période d’été ou alors absent presque 24h/24h pendant la période d’hiver. Ce n’est pas non plus le cycle de la lune, ni des marées.Peut-être celui des manchots! Alors la question reste en suspens: qu’y-a-t’il ici pour rythmer nos journées ?


Pétrel des neiges

Le travail, les heures des repas,... en fait principalement les heures des repas... quand tu arrives, le rythme du soleil t’est inconnu et tu ne le remarques presque pas. À 23h, tu as l’impression qu’il est 18h. Avec le temps, tu observes et tu sens les infimes variations de luminosité et tu arrives à détecter le rythme de la journée. Mais la nuit est trop absente pour être un repère du rythme jour/ nuit, ce dont notre organisme a besoin pour se repérer. Alors les repas à heure fixe sont là, pas seulement pour donner un rythme mais aussi pour le cuisinier bien sûr ! Le matin, le petit déjeuner est entre 6h et 8h. Le midi, le repas est à 12h et le soir, le souper est à 19h15.

Dilling...dilling....dilling...La cloche retentit à l’heure où l’on doit se mettre les pieds sous la table et comme une masse, la foule va s'asseoir autour des tables. Le bruit des couverts retentit, les assiettes résonnent dans la salle à manger, le «séjour». Et les plats arrivent à table. Nous sommes tous environ deux fois de «petite marie» par mois. La «petite marie» ou service base consiste à servir, mettre la table, nettoyer les pièces communes sur une journée. Cela ne te prend pas toute ta journée. La première est un peu comme la découverte des cachettes secrètes de DDU, tu comprends un peu les rouages de la cuisine, comment tout est organisé, rangé et surtout tu te rends compte du travail que représente la gestion de 70-80 personnes sur la base. Les plats s’enchaînent, tu apportes, tu amènes; les gens demandent, tu observes, tu regardes, tu plonges les mains dans l’eau de vaisselle et tu fais la vaisselle. C’est le seul moment où tu as un contact avec la vie métropolitaine. L’argent n’existe pas, les soucis quotidiens n’existent pas, la vie est différente, allégée... !


Le travail est plus ou moins régulier, dépendamment des gens sur la base, certains ont une certaine routine à entretenir pour leurs expériences, d’autres sont dépendants des besoins comme c’est le cas pour la plupart du personnel technique ou alors d’autres comme moi, sont dépendants du temps climatique. Par mauvais temps, nous ne pouvons sortir, nous sommes cloîtrés sur l’île à observer la mer à travers les fenêtres, assis devant notre écran d’ordinateur, rentrant toutes les données récoltées.

La cloche de l’Astrolabe vient de retentir, il revient de la campagne océanographique. Nous ne savons pas comment elle s’est passée mais nous allons le découvrir demain.

vendredi 14 janvier 2011

En pause forcée...

Voilà deux jours que nous sommes à terre, deux jours que nous n’avons pas mis un pied sur notre coque de noix, la barge flottante. Hier, des transferts de containeurs entre l’Île des Pétrels et PrudHomme se sont effectués, la manip «ponton», alors le SeaTruck a été monopolisé toute la journée.
Aujourd’hui, le vent souffle, tel une girouette il a tourné tout autour des 360°; tel une balance il n’a pas su se décider pour un vent constant modéré. Il a préféré osciller entre 5 noeuds et 40 noeuds. C’est tellement dommage alors que le soleil brille autant, il fait beau, pas trop froid mais il souffle de son air glacial. Une chemise ne suffit pas, il s’engouffre en-dessous. Il faut l’empêcher de se frayer un chemin !

Alors nous restons assis devant notre ordinateur à trier les centaines de photos que nous avons pu prendre durant les trois jours de mer. Toutes ces espèces ou morphologies observés, nous les recensons pour que les prochaines fois nous puissions savoir si nous les retrouvons. De longues heures de travail , j’espère gratifiantes à la fin !

Bientôt bientôt nous retournerons en mer et peut-être croiserons nous un orque... Nous n’en avons pas encore vu jusque là, nous n’en avons pas vu de près !


La banquise disparaît doucement. Nous sommes maintenant sur une île, nous sommes maintenant isolés du continent. Nos seuls moyens de déplacement sont l’hélicoptère et le bateau. Et pendant que nous voyons notre terrain de jeu se rétrécir, les manchots doivent être heureux.


Ils n’ont plus des centaines de mètres à faire pour pouvoir aller mettre les pattes dans l’eau et se nourrir ! La vie de manchot n’est pas facile. Les journées où le vent souffle comme aujourd’hui tu aimerais avoir leur duvet et leur résistance au froid ! Pas besoin de mettre des couches de vêtements... ce n’est que l’été ...et je ne suis pas frileuse ! Mais mettre un manteau quand le soleil brille si fort me rend triste. Tu aimerais pouvoir le sentir sur ta peau et emmagasiner le maximum de chaleur avant l’hiver !

mercredi 12 janvier 2011

Le premier chalut

Aujourd’hui, j’ai reçu un cadeau, mon premier chalut . Demain, pareil. Voilà trois jours, que je reçois comme cadeau des chaluts. Ces chaluts raclent le fond et ramènent beaucoup d’organismes, d’animaux vivant sur le fond. Dans le jargon scientifique, cela se nomme le benthos ou les organismes benthiques.

Le chalut remonte en abondance plein de jolis animaux, des ophiures, des étoiles de mer, des amphipodes, des isopodes (petites crevettes), etc... je ne sais plus où donner de la tête.


Les journées commencent par un petit tour en mer, histoire de s’oxygéner, de remonter notre fameux chalut et cela nous prend toute notre matinée. Il est midi, la cloche sonne, il est l’heure d’aller manger.

Le vrai travail commence. Nous devons trier tout ce que nous avons récolté. La plupart des organismes sont petits: moins de deux centimètres. Alors pour les voir, il faut se concentrer et bien observer. Ensuite il faut regarder qui ressemble à qui. L'équipe n’est pas forcément d’accord. Alors ça discute! Parfois nous nous interrogeons : qu’est-ce-que cela peut bien être? Un animal avec une forme un peu bizarre, nous ne savons pas trop si c’est une éponge ou une étoile de mer. Bon là j’exagère, à ce niveau là nous arrivons à faire la différence.

Les heures s’enchaînent , les unes après les autres, la cloche du soir résonne. Le repas fini, à peine le temps d’entamer la digestion que nous retournons dans notre container pour finir le travail. Rien ne peut attendre. Si la reconnaissance des espèces est faite le lendemain, les organismes meurent, perdent leur couleur, leur forme et toute leur fraîcheur. Il serait triste de les avoir enlever de la mer pour les perdre et ne pas les garder.

Quelle diversité dans ces fonds marins! Plonger parmi ce monde bleu doit être impressionnant. Nous sommes surpris par le nombre d'animaux au mètre carré. Certains sont drôles avec des formes d’alien aux yeux roses, certains sont gluants et n'incitent pas à être mangés.
Que de formes différentes, de couleurs variées pour un milieu si hostile. Nous ne connaissons rien ou peu de chose de ce monde et pour le connaître, il faut prélever un petit bout. Difficile parfois de se dire que cela représente des années de croissance, de travail pour un si petit animal. Mais l’homme a besoin de connaître pour protéger et faire le moindre mal.

jeudi 6 janvier 2011

La deuxième arrivée

Je suis arrivée sur la base depuis trois semaines. Trois semaines que j’observe et je vis au quotidien avec ces paysages. Trois semaines que ma vie est ici et qu’elle disparaît des endroits fréquentés avant mon départ. On n’oublie jamais avant mais il s’efface. On se rappelle des souvenirs mais on oublie petit à petit comment on vivait. On reprend facilement de nouvelles habitudes.

On s’était habitué à notre vie de groupe, celle que l’on avait créée avec le groupe existant. Et puis l’Astrolabe, le bateau rouge est revenu avec plein de nouvelles têtes, plein de gens qui ne connaissent pas la base. Il est revenu avec des gens qui vont casser notre quotidien. Celui, précaire, que l’on avait réussi à créer.

Sur l'Astrolabe quelques connaissances , trois personnes du Museum d'histoire naturelle, Nadia, Cyril et Anne-Claire viennent pour la première fois en Antarctique, Terre Adélie. Ils ont découvert les manchots-adélie, les passerelles, les bâtiments, la vie et ses principes à DDU(Dumont d'Urville). A leur arrivée, ils ont amené les nouvelles, le travail, le commencement de la campagne d’été. Maintenant la préparation commence réellement.... mais nous attendons le SeaTruck, notre bateau, pour pouvoir partir en mer. Alors patiemment nous nous préparons. Alors la mer c'est pour bientôt ?

Nous sommes allés pêcher avec des cannes à pêche, mais les leurres n’ont rien attrapé. Ils ont juste réussi à accrocher nos doigts, nos vêtements, rien de bien vivant ou d’intéressant pour nous. Nous avons rangé, nettoyé, et nous avons regardé.

Une eau de glace


Hier, j’ai mis un doigt de pied dans l’eau. Hier, je me suis mouillée. Hier, j’ai plongé dans les eaux antarctiques. Elles étaient froides, claires et limpides. Mais à peine le temps de les sentir que déjà je suis sortie. À peine ai-je sauté du bord, que déjà tu te débats pour pouvoir remonter. L’eau te prend au vif, te surprend, te vivifie. Ton corps se congèle instantanément. J’imagine à peine l’énergie que les manchots doivent développer pour se protéger. Leur corps est à 38-39°C, la mer est en dessous du zéro. Les manchots le vivent bien, alors que nous ne pouvons supporter une température trop froide. Nous nous parons de nos plus beaux atouts pour se protéger contre les intempéries. Nos corps ont oublié avec le confort qu’on leur apporte. Il nous suffit de nous couvrir pour avoir chaud et se sentir bien.

Un de nous a été plus courageux que les autres, il a nagé sur vingt mètres puis escaladé un petit iceberg, et il est redescendu. Il a passé plus de temps que nous tous réunis dans les eaux froides.
Nous, nous avons sauté tel des manchots dans les eaux, tous ensemble. L’un est parti, les autres ont suivi... L’effet de groupe face à l’adversité !

Hier je me suis baignée, hier j’ai mis mon maillot de bain et de tout mon corps, j’ai pris l’eau froide à bras le corps.